Rapatriée

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Trois ans depuis mon départ.

Une vingtaine d’aller-retour.

Des valises que je fais et défais, qui défilent d’un appartement à un autre,

De mon pays d’accueil à mon pays de cœur.

Trois ans depuis que je vais et que je viens, et pourtant…

Pourtant, je n’ai jamais eu aussi mal de repartir.

C’est drôle. Plus le temps passe, et plus il m’est difficile de quitter le Liban.

Peut-être parce que les intervalles entre mes retours s’élargissent,

Peut-être parce que je finis mes études bientôt,

Que je commence à construire ma vie ailleurs,

Une vie d’adulte

Et que cela devient trop stable, trop vrai.

Cela commence à ressembler à un futur,

Un futur qui n’est pas Libanais.

Ça me fait peur. Peur de m’imaginer grandir loin de chez moi,

De m’y habituer.

Peur parce que flotter entre le Liban et l’Europe devient une cruelle réalité.

J’ai l’impression d’être destinée à toujours errer, à attendre mon retour pour recharger, à appréhender mon départ comme s’il était une fatalité.

Partir, venir, revenir, repartir, une

Triste,

Et épuisante

Routine.

Je n’ai pas envie de faire partie de ces expatriés qui ne rentrent qu’une fois les quelques années.

Moi, je veux profiter de mon pays tous les jours.

Je veux voir la neige sur nos montagnes autant que je veux me baigner dans notre bout de Méditerranée.

Je veux fêter Pâques et aller à la recherche des œufs dans mon jardin autant que je veux fêter Noël et prendre des photos à côté du Sapin.

Je veux voir mon frère grandir, petit à petit.

Je ne veux plus, rentrée, rester bouche bée face à lui.

L’été dernier, il était encore un enfant quand je le prenais au cinéma.

Cet hiver, c’est un homme qui m’ouvre la porte. Il est déjà plus grand que moi.

Je ne peux plus l’inviter au cinéma parce que c’est lui qui m’invite maintenant, et qui fait attention à moi.

Je veux voir mes grands-parents vieillir, et les serrer dans mes bras plus souvent.

Je veux rigoler des heures et des nuits avec mes amis, sans craindre qu’on ne soit, un jour, séparés par la vie.

Je veux rouler des heures sur nos routes embouteillées, et crier sur tous ceux qui ‘ne savent pas conduire’.

Je veux passer 50 coups de fil pour essayer de trouver de la place pour 20 dans un restaurant de Beyrouth.

Je veux me disputer tous les jours avec mes amis pour décider de qui prendra sa voiture, et de qui devra se serrer derrière. Je veux ‘Shotgun devant’ tous les jours, et ‘Shotgun pas au milieu’ tous les soirs.

Je veux passer mes soirées à danser, à boire, à rire, à me souvenir de ce passé qu’abrite le Liban, de notre passé.

Je veux me réveiller tous les matins en courant vers la bouteille d’eau,

Parce que j’ai trop crié hier, et parce que j’ai un peu trop bu aussi…

Je veux me réfugier dans les bras de ma mère, et je veux toujours rentrer le soir pour embrasser le front de mon père.

Je veux être accueillie par mes chiens, sentir leurs petits corps allongés sur mon lit le matin, les porter dans mes bras, sans jamais penser à les quitter demain.

Je veux figer le temps au Liban.

Je veux figer tous mes moments ici.

Je ne veux plus pleurer mon départ. Je ne veux plus de départ.

Je veux avoir le droit de vivre sur ma terre.

Je veux croiser, tous les jours, les visages de ceux que j’aime.

Je ne veux plus de compte à rebours jusqu’aux retrouvailles, de compte à rebours jusqu’aux départs.

Je ne veux plus qu’on me demande :

‘Quand est-ce que tu es arrivée ?’,

‘Quand est-ce que tu repars ?’,

‘Quand est-ce que tu reviens cet été ?’,

‘Est-ce que tu reviens… ?’

Je veux que la joie que je ressens, rentrée, se prolonge à tout jamais.

Je veux vivre, grandir, et vieillir sur ma terre.

Je veux manger sur une table libanaise jusqu’à ce que je sois celle qui prépare un jour à manger.

Je veux être entourée de mes oliviers.

Je veux danser pour toujours à Beyrouth, nager pour toujours à Batroun, dormir pour toujours aussi paisiblement qu’à Abdelli.

Je veux, à jamais, avoir le cœur aussi rempli qu’aujourd’hui.

Je ne veux plus d’au revoir.

Je ne veux plus pleurer la distance.

Je ne veux plus que la vue d’une valise me soit triste.

Je ne veux plus de ce sentiment qui m’oblige à aspirer chaque seconde de chaque moment au Liban, par peur qu’il ne soit le dernier, pour longtemps.

Je ne veux plus être Expatriée, je veux être Rapatriée.

Je veux retrouver une vie dans ce pays,

Une paix dans le chaos.

Beyrouth, je te veux tant.

Pas seule, non.

Je nous y veux tous, tellement.

– Inès Mathieu