Décembre 2020.
Je repars à Beyrouth pour les fêtes.
J’ai hâte de rentrer. J’ai peur aussi.
Je redoute mon arrivée, je redoute le pays.
À peine dans l’avion, le Liban y est déjà.
La langue s’entend partout.
Nous atterrissons. Des applaudissements.
Oui, je rentre bien.
La route vers la maison est longue.
Le temps se fige en voiture.
Les paysages sont lourds.
La vue est douloureuse.
L’air se limite.
Ce n’est pas que, partis, nous oublions.
C’est que, revenus, nous revivons.
Les retrouvailles sont les plus belles.
On embrasse, on enlace.
On se retrouve et on se redécouvre.
On se raconte et on se remémore.
Venus de là-bas, les récits sont beaux.
La vie a été douce.
Ici, les jours se sont suivis, se sont répétés.
La douleur jamais dissipée.
Le sang toujours brûlant. Les larmes toujours coulantes.
Et si partis, les traumatismes n’ont jamais disparu,
Revenus, les plaies se rouvrent.
Les cicatrices font encore plus mal. Mêlées à la culpabilité de l’exilé.
Les premières heures revenues sont les plus difficiles.
Le réajustement. Se souvenir. Redevenir libanais.
Ne jamais le redevenir complètement. Parce que, depuis le départ, le Liban a changé.
De nouvelles règles du jeu. Et l’exilé n’est plus joueur.
Mais il ne faut pas longtemps pour s’adapter. Réapprendre.
Reprendre le volant pour la première fois.
Retrouver les 150 membres de sa famille. Manger, encore et toujours.
Essayer de redonner le sourire, à ceux à qui nous avons manqué.
Sourire, d’avoir retrouvé, ceux qui nous ont terriblement manqué.
Le soulagement d’avoir dans ses bras un membre adoré.
Parler à Téta et Jeddo sans tous les problèmes de vidéos, et les 30 minutes de « Allooooo ? »
Mais certaines choses sont plus difficiles.
Revivre certaines minutes, revoir des visages cicatrisés, habiter des murs fissurés.
Marcher dans des rues hantées, par leur passé et le nôtre.
Par les souvenirs, et les rires. Par les bons et beaux moments.
Submergées et étouffées par les secondes destructives et le chaos. Par l’horreur.
On s’adapte. Et on se réadapte.
Tout semble aller mieux.
Puis un bruit, un mot, un regard…
On se réadapte. On n’a pas le choix. C’est bien ça être libanais.
On m’avait dit que le premier départ du pays était le pire.
Réellement,
C’est le deuxième départ qui laisse place à plus de désespoir.
L’exilé pars,
Les valises en main.
Remplies de la cuisine de Téta, de Za’atar, de quelques vêtements oubliés.
L’exilé part,
L’itinéraire en main.
L’exilé atterrit
Dans des terres qu’il connaît déjà.
Mais l’exilé quitte ses bien-aimés.
Laissés derrière, dans l’obscurité libanaise. Une obscurité silencieuse et profonde.
Dans un inconnu.
L’exilé part,
Accompagné par les mots de la famille :
Pars. Et ne te retourne pas.
Ne laisse pas place à la culpabilité.
Parce qu’il n’y a pas de mérite à être resté.
Le changement se fera à travers ton éducation. Pas dans les cris et les manifestations. Pas avec la Révolution.
Pars, ne regarde pas en arrière.
Dieu est avec nous, et nous n’avons pas peur.
« Beyrouth mille fois morte, mille fois revécue ».
Pour le meilleur,
Et pour le pire…
Des mots qui restent, des mots qui blessent.
L’exilé part,
Pour la deuxième fois, encore plus inquiet.
Parce que le temps ne fait pas du bien au pays.
Les racines du Cèdre vieillissent et se fragilisent.
Un retour prochain est incertain. Parce qu’il n’y a plus rien de certain.
Le soleil se lèvera-t-il sur Beyrouth, demain matin ?
Telle est la pensée d’un Libanais,
Exilé.