Leila, Raconte moi TA guerre…

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« Le Liban, une mosaïque confessionnelle fragile »

Nous vantons souvent la présence des nombreuses religions sur notre terre.

Pourtant, nous ne parlons pas assez d’une communauté qui a fait partie de notre pays,

Qui était des nôtres :

Les Juifs libanais.

‘Était’ parce que depuis la guerre civile, ils n’ont plus jamais eu leur place au Liban.

La société libanaise ne permet qu’à peine d’évoquer leur sujet, comme si la terre allait s’arrêter de tourner à l’idée qu’un Juif n’y avait jamais mis les pieds.

*Leila* est une Juive libanaise.

Je suis née au Liban. J’y ai vécu jusque dans les années 80.

Ensuite, j’ai dû partir. Mais je n’ai pas choisi le départ. Non.

Il m’a été infligé.

Je n’avais plus ma place au Liban, et il m’était devenu impossible d’y vivre.

Au Liban, je n’avais pas la « bonne » religion : je suis une Juive libanaise.

Au Liban, j’ai perdu mon époux.

Au Liban, j’ai connu la guerre…

Grandir dans un pays, dans son pays

Rien que pour en être chassée

Par faute de croyances personnelles.

Sujet tabou, presque effacé de nos mémoires.

Plus de nationalité pour le Juif. Seulement un adjectif : Sioniste.

‘Sahyouné’, la plus grave insulte du vocabulaire libanais.

Avant la guerre, être juive au Liban ne posait pas problème.

Mais en 1972, tout a changé.

Ma religion n’a jamais affecté mes amitiés. Nous nous considérions égaux.

Et puis, il faut dire que la guerre rapproche beaucoup. Comme il y avait un couvre-feu, nous ne pouvions pas beaucoup nous éloigner. Nous passions tout notre temps avec nos voisins.

Mes parents et ma sœur sont même venus vivre chez nous quand leurs maisons ont été détruites par les combats.

Nous avons tous fini par partir, parce que nous n’étions plus en sécurité au Liban.

Je suis cependant restée en contact avec quelques-uns de mes amis Libanais après mon départ.

Un ami au Liban est un ami de vie.

C’est au niveau général que ça n’allait plus.

Soudainement, nous n’étions plus considérés « Libanais ».

Nous n’étions plus que des « Juifs » aux yeux de la société.

Juif, c’est-à-dire, l’ennemi.

Malgré tout, nous sommes toujours restés fiers de notre religion que nous n’avons jamais essayé de cacher.

Nous nous faisions harceler et nous craignions réellement d’être assassinés.

Alors, nous avons dû apprendre à nous adapter, à nous faire petits.

De quel droit leur a-t-on infligé la discrétion, la peur, le départ et la mort ?

Pourquoi ?

Partager la religion d’une armée étrangère fait-elle de nous un étranger ?

Quand est-il de la nationalité ? N’a-t-elle aucune valeur ?

J’ai perdu mon mari pendant cette guerre, très probablement à cause de notre religion.

Il n’était pas combattant. Les Juifs ne participaient pas au combat ; nous devions nous faire discrets…

Pourtant, il a été kidnappé.

Et après dix jours d’enfer, nous avons retrouvé son cadavre. Nous avons donc pu l’enterrer.

Cette guerre m’a retiré mon mari. Pourquoi ?

Parce que nous sommes juifs.

Nous avions raison d’avoir peur,

Malheureusement…

Le mari de Leila a été assassiné.

Il a laissé derrière lui une femme, et la chance de vieillir paisiblement à ses côtés.

Il a laissé derrière lui trois enfants, et la chance de les voir grandir.

Parce qu’il était juif.

Juif, au Liban.

C’était très dur. Ça l’est toujours.

C’est pour cela que j’ai fait une croix sur le Liban.

Le départ ne m’était pas inconnu.

À cause des combats, nous étions déjà partis deux fois.

La première à Paris, la deuxième à Milan.

Mais nous étions toujours revenus.

Nous ne nous sentions à la maison qu’au Liban.

Dans les années 80, je suis encore partie.

Cette fois, veuve et avec deux enfants.

Le Liban m’a volé mon époux. Je n’allais pas les laisser m’ôter davantage. Je devais sauver la vie de mes enfants.

Le Liban est la source de mes douleurs les plus profondes.

« Le Liban est la source de mes douleurs les plus profondes.

À 20 ans à peine, je peux déjà dire qu’il est aussi la source des miennes… »

Comment revenir ? Pourquoi ?

Je ne pouvais plus y vivre seule. Je n’avais plus aucun lien avec le pays.

Non. Je ne veux plus jamais y retourner.

Dans les années 80, je suis partie.

Depuis, je n’ai plus jamais regardé en arrière.

Bien que le Liban ait représenté la plus belle période de ma vie, il ne se définit aujourd’hui que par ma douleur et par ma perte.

Pour, qu’un jour, je puisse concevoir un retour,

Il faut que le pays retrouve le calme, la sérénité, la paix.

Mais le Liban n’a jamais été calme

Et la situation ne s’est jamais améliorée.

38 ans depuis le départ de Leila.

Et en 38 ans, le Liban n’a jamais connu la paix.

Je parle à une Libanaise de 20 ans qui essaye de comprendre cette guerre,

De nous comprendre à nous,

La génération de la guerre.

Mais tu ne comprendras jamais.

Nous avons vécu tellement de choses.

Nous avons survécu à tellement de choses.

Survécu physiquement, mais nous n’en sommes pas sortis indemnes.

Je ne garde aucun bon souvenir de cette période.

Je peux à peine en parler.

Parce que j’ai tellement souffert.

Une souffrance profonde.

Je n’arrive à en parler que très difficilement.

Quand je suis partie, j’ai essayé de tout effacer.

Mais il y a des choses qui ne s’oublient pas.

C’est une douleur psychologique.

Elle nous atteint au plus profond de nos âmes.

Oui…

J’ai beaucoup souffert.

Et pourtant, je porte toujours le Liban dans mon cœur.

J’ai fait de mon mieux pour inculquer nos traditions à mes enfants, à mes petits-enfants, à mes arrière-petits-enfants.

J’ai essayé de leur transmettre les bons côtés du pays, de ma nationalité.

Nous mangeons libanais, nous parlons libanais.

Mais aujourd’hui encore, nous n’y avons pas notre place.

Mon petit-fils n’a jamais eu l’occasion de découvrir sa terre.

J’espère seulement qu’il pourra le faire un jour.

En sécurité.

‘Nchalla’…

Durant la guerre, une frontière a séparé le musulman du chrétien.

Beyrouth-Est, Beyrouth-Ouest.

Quand est-il de la frontière qui a séparé le Juif du reste des Libanais ?

Jamais physique, elle a pourtant eu beaucoup d’impact sur notre société.

Comme Leila, son petit-fils n’est toujours pas le bienvenu au Liban, son pays d’origine.

Pourquoi ?

La possibilité de grandir parmi les siens lui a été retirée.

La possibilité de vivre sa foi paisiblement et en sécurité sur sa terre n’a jamais existé.

Pourtant, il crie encore haut et fort qu’il est Libanais,

Qu’il vient de ce pays qui ne lui a jamais rien offert,

De ce pays qui ne lui a jamais ouvert ses portes.

Cruelle réalité pour un juif Libanais…

Pour ma part, j’ai su me détacher du pays.

On ne peut rester attaché à quelque chose qui…

Qui nous a anéantis.

Non.

Je n’appartiens plus à aucun pays.

Et je ne me suis, plus jamais, sentie Libanaise.

L’impact que le Liban a eu sur Leila n’est pas différent de celui qu’il a eu sur nous.

Comme beaucoup, la guerre l’a fait fuir, et elle n’a plus jamais regardé en arrière.

30 ans plus tard, nous fuyons toujours.

Chrétiens, Juifs et Musulmans plient leurs bagages sans plus regarder en arrière.

Je me demande : sommes-nous prédestinés à partir ?

Est-ce la situation du pays qui nous fait fuir ?

Ou est-ce réellement la nationalité ?

N’a-t-elle plus de valeur aux yeux du Libanais ?

Nous partons tous.

Sauf que certains n’ont jamais eu l’option de rentrer,

Ni pour un été, ni pour des festivités.

Le Juif a été indéfiniment exilé, déraciné.

Le pays n’est plus en guerre.

Mais nous souffrons de la chute d’une nation.

Une chute vertigineuse…

Je ne garde que de beaux souvenirs de mon enfance au Liban.

Je ne garde que les pires souvenirs de la guerre et de qui a suivi.

Le Liban est le plus beau pays du monde.

Mais…

Ma vie, ma présence au Liban y a été un grand supplice.

C’est quelque chose que je ne souhaiterai à personne, pas même à mes pires ennemis.

Dommage.

C’est tout ce que je peux dire.

Dommage.