Le temps d’un retour

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Comment décrire ce sentiment ? Arriver à l’aéroport, après un séjour au Liban…

Accompagnés de nos valises, nous embrassons nos proches en leur promettant « Au revoir ».

On espère dans la discrétion de nos pensées pouvoir en effet bientôt revenir, mais on ne le sait jamais, quand on est Libanais.

On réalise que notre séjour est arrivé à sa fin, et qu’il est maintenant temps de rentrer. Revenir à notre réalité, à celle que nous avons choisie par-dessus une vie au pays. Revenir à notre confort, notre sécurité.

Comment expliquer ce sentiment de soulagement,

Mêlé à cette amertume profonde de devoir s’en aller,

Encore une fois.

Soulagement, de retrouver tranquillité, stabilité, civilité…

Amertume profonde de devoir quitter notre terre. Naturellement chaotique et dans son état le plus brut.

Amertume profonde parce que nous partons, mais que, eux, restent.

Amertume de savoir que nous leur laissons l’espace pour exploiter notre pays, et torturer son peuple.

Le voleur a sa place ici. Alors que nous, nous partons.

Et pourtant, s’ils ont gagné une bataille, la guerre n’est pas perdue. Nous partons, mais nous reviendrons plus forts. Parce que, que dans le départ forcé, peut-on comprendre la valeur de ce pays, et la furie de celui à qui on a arraché ses racines.

Le temps de quelques semaines, le Liban nous offre un avant-goût de la vie que nous aurions aimé pouvoir vivre ici. Un pur délice, qu’on ne peut que déguster.

On admire chaque coucher de soleil comme s’ils allaient tous nous être volés.

On fuit au bord de notre Méditerranée, comme si nos journées à la mer allaient s’évaporer.

On déguste chaque plat, comme si nous y goûtions pour la dernière fois. Ces plats auxquels seul le Libanais a accès, ceux qui ne sont si bons que parce qu’ils nous ont été préparés à la maison.

Bien sûr, on se retrouve aussi. Et même si nous nous croisons dans les quatre coins du monde, nous profitons de ces retrouvailles au pays, qui sont si différentes des autres. Parce que seul ici nous sommes vraiment à la maison.

Le temps de quelques semaines nous laissons le pays nous taquiner. Et nous choisissons de croire à l’illusion qu’il offre lors de la saison du retour des exilés. Le temps de quelques semaines, le Liban nous permet d’être heureux.

Et pour un instant, nous oublions.

Que ce pays est une jungle, et que ces moments sont limités.

Qu’il a stagné dans le temps, et que la marche s’y fait à reculons.

Pour un instant, nous lui pardonnons.

Presque…

Oui, une fois que nous sommes de retour, place à la comédie. Nous nous transformons en spectateurs naïfs qui applaudissent à une tragédie. Ceux restés au pays deviennent acteurs.

Comme pour soulager leurs maux, et participer, le temps de quelques semaines, au retour festif de nos exilés.

Mais hélas, toute illusion a une fin.

Une fois traversées, ces portes de l’aéroport nous frappent à la gueule violemment, comme pour nous rappeler à l’ordre.

On se réveille soudain de l’hypnose libanaise et on se réconforte à l’idée de la fin.

Il me fait mal de partir, mais encore plus de rester.

Alors, je me retrouve à faire défiler les photos de mes vacances à la maison.

Touriste dans mon propre pays…

Je m’y vois heureuse. Profondément apaisée.

Il n’y a que dans le brouhaha de ma terre que je retrouve ma stabilité.

Moi, je marche toujours aux aiguilles de Beyrouth. Et rentrée, je suis à nouveau à l’heure. Plus de décalage de deux heures.

Et dans ses moments doux, avant que l’illusion ne se dissipe

Avant de devoir, une fois encore, me séparer de mon pays,

Sans même l’avoir vraiment retrouvé…

Dans ses moments doux, je réalise que,

Mon Apogée, c’est Beyrouth.

C’est fou, cette emprise que ce pays a sur moi… Capable de me faire vibrer, de me redonner souffle. Tout en ayant ce pouvoir de m’anéantir rien qu’à l’idée de voir ses portes me fermer au nez.

Mon avion s’envole et je me retrouve perplexe.

Parce qu’on ne s’habitue pas à ce déchirement qu’on ressent quand, de la fenêtre de l’avion, on voit Beyrouth s’éloigner.

On ne s’y habituera jamais.

Je me retrouve perplexe, parce que je ne sais toujours pas vraiment.

Suis-je en train de quitter ma maison ? ou d’y rentrer ?

Mon apogée, c’est Beyrouth.

Le temps de quelques instants…

Le temps d’un petit voyage, avant de me ré-envoler.

Beyrouth,

Avant de partir, je te répète :

Au Revoir.

– Inès Mathieu