13 avril 2024 : 49 ans depuis le début de la guerre civile libanaise. (1975-1990).
C’est ironique, vous ne trouvez pas ?
49 ans, et où en sommes-nous ?
Cela fait bien 49 ans depuis le début de la guerre.
Mais depuis sa fin ? 34 ans ?
A-t-elle jamais pris fin, réellement ?
Non. Seulement, la situation s’est calmée pour quelques temps, comme un temps mort pour reprendre des forces.
Sauf que le temps mort nous a seulement affaiblis en tant que Libanais, et a uniquement servi à nous diviser.
Et si la pause venait à prendre fin, nous nous retrouverons dans une guerre encore plus sanglante, plus violente et plus meurtrière.
Il y a quelques jours, en parlant à des copains, j’ai réalisé que j’ai peur.
J’ai peur, parce qu’à une table, entre amis, nous ne sommes plus capables de nous mettre d’accord. Même pas sur qui est/qui sont les ennemis de notre pays.
Il y a quelques jours, assise avec mes parents, j’ai aussi eu peur.
Nous avons résumé tous les événements de ces dernières semaines. Nous nous sommes regardés, effrayés : quelque chose de grave va bientôt arriver.
Ou plutôt, nous arriver…
Hier soir, alors que je m’apprêtais à dormir, mon père est entré dans ma chambre, alarmé.
“Inès, Viens. On a besoin de te parler.”
Je me suis assise, prête à l’écouter.
“Inès, ils ont attaqué.”
Comme dans une scène de film, West Beirut, j’ai imaginé le pire.
Comme si l’on venait de m’annoncer : “Inès, la guerre a recommencé.”
Je suis née en 2002, dans un Liban apaisé.
Les années sont passées, et j’ai grandi.
Ce n’est qu’en 2019 que le Liban m’a vraiment fait peur pour la première fois.
Et depuis,
Je n’ai plus connu de répit.
Toujours, un nouveau problème, un nouveau danger.
Toujours, ce sentiment que mon pays est en train de s’éloigner.
Que même les mains tendues, je n’arriverai plus à m’y attacher.
2024, et je ne suis plus vraiment militante.
Comme les autres, je ne sais plus où on en est.
Seule une question persiste, depuis le début de ma page :
Qu’est-ce que c’est que d’être Libanais ?
Hier soir, dans le tumulte de la nuit,
Les habitudes de guerre nous sont revenues.
Le Libanais a quitté Beyrouth pour la montagne,
Sans oublier de faire le plein d’essence au cas où.
Hier soir, dans le tumulte de la nuit,
La nationalité, l’identité libanaise a refait surface.
Alors que nous risquions la guerre,
Nous n’avions qu’un seul but :
L’aéroport de Beyrouth venait de fermer.
Alors, comment faire en sorte que ma sœur puisse arriver ?
Voyez-vous,
C’est ça, être Libanais.
C’est le fait que partir du pays n’a jamais été la question.
C’est le fait que nous ne voulions pas être divisés :
Certains en danger, d’autres en détresse à l’idée d’être loin du danger.
C’est le réflexe de vouloir se réunir, au Liban.
Mais jamais, d’en partir,
D’en fuir.
C’est le fait que les missiles et les bombes ne nous font pas aussi peur que notre division.
C’est la réalisation que nous n’avons aucun rôle à jouer.
Que nous sommes éternellement les victimes et les spectateurs de l’histoire du Liban.
Le temps mort, la mi-temps, le recommencement du jeu…
Ce ne sont pas des décisions que nous prenons.
Ce sont des décisions dont nous sommes victimes.
Les Libanais n’ont qu’un seul rôle à jouer :
Celui de crier à une table une opinion qui ne sera jamais prise en considération.
Jamais, parce que qui écouter sur une table à 17 identités ?
Sur une table où une unique religion n’est pas partagée ?
Qui écouter quand, les doigts sont pointés sur les personnes assises à nos côtés ?
Nous sommes victimes, bien évidemment.
Mais aussi, responsables de notre propre division.
Notre division, facteur primordial de notre destruction.
Comme des enfants, quand le monstre sort de sous le lit,
Nous nous réfugions sous une couverture les yeux fermés, en attendant la fin de la nuit.
Et si la nuit persiste, et que les monstres restent en liberté,
Le Libanais ne pourra plus se cacher. De nouvelles options s’offriront à lui :
Oublier le soleil, et s’habituer à l’éternelle nuit.
Ou partir… momentanément.
49 ans depuis le début de la guerre civile libanaise.
Et 49 ans après les batailles, les morts, le sang, la “libération”,
Il est peut-être temps que le Libanais réalise :
Qu’il n’a jamais été le joueur,
Toujours le pion.
– Inès Mathieu