Je suis le 4 août

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Je m’appelle Inès Mathieu.

Je suis le 4 Août.

Les jours s’enchaînent, le temps s’écoule,

Bientôt un an

Depuis le 4 Août.

Depuis le 4 Août,

J’ai fui mon pays,

Je me suis installée à l’étranger,

J’ai essayé de redémarrer ma vie.

Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour réaliser la triste vérité…

Aucune douleur ne sera aussi douloureuse que le 4 Août,

Aucune trahison ne trahira autant que le 4 Août,

Aucune désolation ne désolera autant que le 4 Août.

La vie peut-elle reprendre après le 4 Août ?

Oui, la vie continue…

Mais je n’arrive pas à m’y faire.

Je ne sais plus qui j’ai été avant le 4 Août.

Je ne sais plus qui je suis sans le 4 Août.

Oui, la vie continue…

Pour les autres.

Et pour ceux que nous avons perdus,

La vie peut-elle continuer ?

Pour leurs familles ?

Pour ceux qui n’ont plus d’abris ?

Pour ceux d’entre nous qui sont traumatisés,

Ou ceux blessés tout jamais…

La vie peut-elle vraiment reprendre après le 4 Août ?

Pour moi la vie s’est figée.

Parce que depuis le 4 Août,

Je suis le 4 Août.

Je m’invente, je me réinvente.

J’essaie de découvrir la personne que je suis devenue.

Mais toutes mes questions mènent à la même réponse.

Je suis le 4 Août.

J’aurais aimé pouvoir redevenir la personne que j’étais,

Avant.

Mais, je ne peux pas.

Le 4 Août a chamboulé nos vies,

Définitivement.

Parce qu’il n’y a pas de retour en arrière possible,

Parce qu’on ne peut que marcher de l’avant.

Mais l’avant fait peur.

Et la marche est éternelle.

Le monde n’est pas assez grand pour fuir le 4 Août,

La vie n’est pas assez longue pour se remettre du 4 Août.

Le temps ne suffira jamais.

Et l’attente est agonisante.

Je ne veux plus que ma vie tourne autour de ces quelques minutes,

Je ne veux plus revoir les images du 4 Août, et revivre le 4 Août constamment.

Je ne veux plus en souffrir, tous les jours, tout le temps.

Je ne veux plus être la victime du 4 Août.

Je ne veux plus, mais je ne peux pas faire autrement.

J’ai aussi peur.

Bientôt un an,

Un jour, cela fera dix ans.

Et, dans dix ans,

Qui serai-je ?

Je n’ai pas fait mon deuil du 4 Août. Je ne le ferai jamais.

Ce qu’on a vécu n’est pas tolérable, supportable.

Le souvenir du 4 Août nous pèsera toujours.

Le 4 Août n’a pas de finalité.

Le 4 Août a pris le dessus sur la nationalité.

Alors qu’un jour,

Quand je me présentais, je disais :

Je m’appelle Inès Mathieu,

Je suis libanaise.

Aujourd’hui, je dis :

Je m’appelle Inès Mathieu,

Et je suis le 4 Août.

Je suis le 4 Août.

Nous le sommes tous.

Aujourd’hui, et à tout jamais.

– Inès Mathieu