C’est drôle…
À chaque fois que j’ai l’impression de m’éloigner un peu du Liban,
que je ne sais plus vraiment où est ma place,
À chaque fois que j’ai l’impression de perdre mes repères,
Beyrouth me rappelle à l’ordre.
Je viens d’atterrir au Liban, seulement quelques jours après mon dernier texte.
À l’aéroport de Londres, dans la file d’attente pour monter à bord de l’avion, je croise un couple âgé.
Ils rendaient visite à leur fils et à ses enfants.
Ils étaient tellement contents d’avoir pu passer du temps avec lui.
Ça m’a réchauffé le cœur.
Ça m’a aussi rappelé que nous ne sommes pas les seuls affectés par notre départ.
Derrière nous, des parents qui n’attendent que de nous retrouver, de nous enlacer, de nous embrasser.
Derrière nous, des grands-parents qui n’attendent que de passer du temps avec leurs petits-enfants qu’ils ne voient pas assez souvent.
Des petits frères et sœurs qui n’ont pas eu l’opportunité de grandir à nos côtés, qui ne se rappellent pas d’une maison où nous vivions ensemble.
Seulement de nos allers-retours, et de nos visites précipitées.
En avion, deux petites filles étaient assises devant moi avec leur maman.
Toutes les trois étaient habillées en rose ; elles étaient tellement sympathiques.
Pour un corps si petit, la petite de trois ans avait tellement de force et d’énergie.
Ce n’était pas la meilleure combinaison pour les autres passagers de l’avion, et surtout pas pour moi…
Le siège ne faisait que bouger, et je n’osais même pas ouvrir la tablette devant moi.
J’avais peur que tout me tombe dessus.
Mais elle était tellement mignonne que je ne pouvais même pas m’énerver.
Lorsque l’avion a atterri et que nous nous préparions à sortir,
une femme et son mari ont commencé à discuter avec la maman.
Elle ne devait pas avoir plus de 25 ans et elle voyageait seule avec ses deux filles.
En l’espace de deux minutes de conversation, l’autre femme avait déjà ordonné à son mari de prendre les sacs de sa nouvelle amie.
Son premier sac était à portée de main, mais le deuxième était rangé à l’arrière de l’avion.
C’est là que je me suis rappelée que je venais d’arriver à Beyrouth :
Les dix rangées derrière nous ont commencé à chercher la valise aux motifs de coccinelle de la petite fille.
Les dix rangées se la sont passée de main en main pour rendre service à une maman.
Une fois que les valises ont été placées devant elle et que la file a enfin commencé à avancer,
la femme a ordonné à son mari de porter les bagages de l’inconnue qu’elle venait de rencontrer afin de lui permettre de veiller sur ses enfants.
Le pauvre homme portait maintenant trois valises à lui seul, pendant que sa femme continuait sa conversation.
Le Liban…
Nous sortons de l’avion.
Notre vol était plein de touristes.
Ils essayaient de suivre les panneaux de direction.
Sauf qu’à l’aéroport de Beyrouth, il ne faut pas suivre les panneaux.
À chaque atterrissage, nous suivons simplement la file des gens devant nous, sans vraiment savoir par où nous allons passer cette fois-ci.
Il leur a fallu quelques minutes pour comprendre que leurs efforts étaient inutiles et qu’ils devaient simplement suivre les passagers libanais.
Je n’ai pas pu m’empêcher de rire : ils n’étaient pas préparés à l’expérience qu’ils allaient vivre.
Je les ai même un peu enviés.
J’aurais tellement aimé découvrir le Liban pour la première fois.
Comme une boîte de Pandore, un trésor caché.
Dans la file pour passer la sécurité, j’ai fait tomber mon sac par terre.
J’ai légèrement rougi en le ramassant ; il était quand même 5 heures du matin, et tout le monde me regardait.
L’homme devant moi a fait un clin d’œil en ramassant mon sac et a ri.
Quelques minutes plus tard, curieux comme tous les Libanais,
il s’est retourné pour observer les gens qui rejoignaient la file.
Il a perdu l’équilibre et a failli trébucher.
Personne ne l’avait vu, sauf moi.
J’ai timidement ri.
Il a mis son doigt sur ses lèvres en riant aussi.
La complicité libanaise, tellement unique, tellement chaleureuse.
C’est la saison du retour des expatriés.
La file était donc très longue.
Un policier a remarqué deux familles différentes à l’arrière.
Elles avaient de petits enfants fatigués endormis dans les bras de leurs parents respectifs.
Il les a fait passer en premier, et personne n’a râlé.
Au contraire, nous avons tous gentiment souri.
Le Liban…
Enfin, c’est mon tour, et je tends mon passeport à l’agent de contrôle.
Je suis accueillie par la blague qui marque toujours le début de mon séjour au Liban :
‘Tu t’appelles Inès Nathalie Rita Mathieu ! Tes parents n’ont trouvé que quatre noms à te donner ?!’
Et comme à mon habitude, je ris un peu et je lui réponds :
‘Ahle zeh2anin…’ (Mes parents s’ennuyaient)
Il a ri et m’a fait signe de passer.
Il était 5 heures du matin, et il avait quand même trouvé le temps de me faire une petite blague,
sans laquelle je ne me serais pas vraiment sentie au Liban.
En attendant de récupérer ma valise, je recroise le couple âgé.
Nous n’avions pas parlé à Londres, pourtant nous nous sommes reconnus.
Nous étions maintenant chez nous, et chez nous, il n’y avait plus besoin de la petite conversation, ou des présentations.
La femme m’a fait le plus grand des sourires, et j’ai essayé de les aider avec leurs valises.
Mais je fais 1m60, et ce n’est pas vraiment facile…
Alors on m’a aidée à les aider.
Le Liban…
Il est 6 heures du matin et je monte en voiture.
Le soleil se lève tout juste.
Le ciel est orange, et je me retrouve face à un panorama de montagnes au milieu de l’autoroute.
J’ai vécu au Liban toute ma vie, mais je ne m’habituerai jamais à cela.
Nous habitons le plus beau pays.
Le Liban…
Mon papa m’attend devant la porte, excité comme un petit enfant le matin de Noël.
Il m’a déjà préparé ma tasse de café.
Nous nous asseyons dehors pour discuter.
Vue sur la mer, et la mer est calme aujourd’hui.
Oui, je suis enfin rentrée.
– Inès Mathieu