Chez moi

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‘L’Homme fait des plans, et Dieu rit’.


Je pensais toujours pouvoir prédire mon futur, pas complètement,
mais il y avait certaines choses qui me semblaient essentielles que je ne pensais jamais abandonner :
Certains sentiments, certaines sensations, certaines pensées.
Comme mon rapport avec mon pays.


Pourtant, Dieu a ri.


Ce que je ressens aujourd’hui, je n’aurai jamais cru ressentir.
Je n’aurai jamais voulu ressentir…


Je suis récemment rentrée au Liban, comme à mon habitude.
J’ai été surprise.
Surprise, parce qu’alors que le pays n’a pas changé et que les choses sont toujours les mêmes qu’avant,
Je ne me suis plus sentie chez moi.
Oui, le Liban est toujours mon pays, mon origine, mes racines.
Mais il n’est plus mon ‘chez moi’.


J’ai senti que ma place était ailleurs et que je ne vibrais plus vraiment au même rythme que Beyrouth,
du moins plus complètement.
J’ai senti que je ne pouvais plus vraiment y être moi-même, comme si je devais m’adapter, redevenir la personne que j’étais quand j’y vivais.
Sauf que, depuis mon départ, j’ai beaucoup changé.


Je suis récemment rentrée au Liban, et mes marches anglaises m’ont manqué.
Le temps frais et le ciel gris,
Ma routine de vie,
Mon indépendance,
Ma liberté.
Les visages que je connais déjà et les nouveaux visages que je ne connais pas encore.


Mon ‘chez moi’


Cela ne veut pas dire que le Liban ne me manque pas souvent.
Son soleil, ses sourires, sa musique, son rythme.
Mais le Liban ne change jamais.
Ce sont les mêmes personnes que l’on côtoie.
Et même lorsque nous faisons connaissance, nous nous connaissons déjà.


Ce qui me manque au Liban, c’est ce sentiment d’individualité.
J’ai l’impression que tout le monde se ressemble.
Nous faisons tous la même chose, nous nous habillons tous de la même façon,
Nous pensons tous pareil.
Nous rêvons de la même vie.
Et nous avons peu de place pour changer, pour évoluer.
Comme si le monde s’attendait à ce que nous restions les mêmes éternellement.


J’ai l’impression que mon départ n’est plus forcé.
Que je ne suis plus ‘exilée’.


J’ai l’impression que ces dernières années loin de mon pays m’ont changée.
Je me suis retrouvée.
J’ai fait connaissance avec la femme que je suis aujourd’hui.
Je ne pense pas que je l’aurais rencontrée au Liban.
Si j’étais restée, je serais encore la même aujourd’hui.
Si j’étais restée, mon esprit ne se serait jamais ouvert au monde.
Je n’aurais jamais réalisé à quel point la vie peut être différente, ou le nombre de possibilités que j’ai réellement.


Mon départ m’a permis de voir le monde différemment,
D’expérimenter.
De découvrir qui je suis et qui j’ai envie de devenir,
Qui je peux devenir.


Cela fait déjà quelque temps que je ne sens plus le poids du Liban sur mes épaules,
Que je ne le porte plus comme un boulet.
Alors, je peux enfin profiter pleinement de mes vacances au pays.
Comme une touriste sur ma propre terre.
Et quand on déguste le pays pour quelques moments seulement, il est plus facile de l’apprécier totalement.
Tout ce qui manque là-bas, je le retrouve ailleurs.
Tout ce qui manque ailleurs, je le retrouve au pays.
Comme si mes mondes se complétaient.
Comme si je suis destinée au venir et à l’aller.
Comme si un pays ne me suffira jamais.


Peut-être que ce n’est pas mauvais, que je ne devrais pas me sentir coupable
Parce que je ne fais finalement pas de reproches au Liban.
Parce qu’il m’est clair maintenant qu’on ne m’a pas montré la porte,
mais que c’est moi qui ai choisi de partir.
Je me sens chanceuse, justement parce que le Liban ne change pas et ne changera jamais.
J’ai beau m’éloigner, je pourrais toujours y retourner.
Parce que le pays reste immobile, et que je n’ai pas peur de le perdre de vue.
Je n’aurai jamais besoin de direction pour retrouver ma terre.


Et même si je ne vibre plus toujours à son rythme,
je l’entendrai toujours raisonner des quatre coins du monde, comme pour me rappeler d’où je viens, pour me rappeler à la maison quand j’en ai besoin,
pour me guider quand je me sens un peu perdue, pour me ressourcer.


Je ne suis plus exilée.
Je suis expatriée, rapatriée,
Libanaise, Européenne.
Je ne suis plus libanaise avant d’être Inès.
Je suis Inès,
Que ce soit au Liban ou à l’étranger.


Et pour cela,
Je ne peux que remercier mon départ et ces trois dernières années.
– Inès Mathieu