Beyrouth, douce illusion

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Les cèdres pleurent

Mais debout et en silence

Ils savent qu’il ne sait mourir

Ce pays mille fois mort.

– Gebran Khalil Gebran

2ᵉ retour à Beyrouth depuis mon départ…

Je passe quelques jours au Liban,

En extase.

Quelques jours se transforment en un mois complet.

Parce qu’il est toujours difficile de repartir.

Et nous finissons toujours par rester plus.

Nous en voulons toujours plus.

Nous n’en n’avons jamais assez,

De Beyrouth…

J’y passe presque un mois. Et je me laisse emporter par le mensonge du pays.

Je me laisse tromper par la plus douce des tromperies,

Beyrouth…

‘Beyrouth, qu’est-ce que tu es belle’, j’ai écrit dans mon extase.

Oui tu es belle Beyrouth,

Quand nous n’avons pas faim.

Quand nous avons un toit au-dessus de la tête.

Quand nous sommes en vie, et que nous n’avons pas tout perdu.

Sinon, qu’est-ce que tu peux être cruelle Beyrouth.

Douce illusion, Beyrouth…

Je te vois refleurir au Printemps, cela me rend heureuse.

Je me laisse oublier que tu fleuris dans les cendres

De ce que nous avons perdu,

Et de ceux que nous avons perdu.

Je me laisse oublier que le soleil ne se lèvera pas dans toutes les régions de mon pays.

Parce que les bergers mènent encore, et les moutons suivent toujours.

Parce que dans la reconstruction peut disparaître la destruction.

Parce que les Libanais oublient trop vite.

‘T’îch w tekol ghayra’.

On dit que l’ignorance est la plus grande des bénédictions.

Parce que l’ignorant est heureux, et l’ignorant ne souffre pas des malheurs qu’il ne contrôle pas.

J’ai grandi dans l’ignorance.

J’ai grandi entourée d’un peuple blasé.

‘Si la guerre ne nous a pas tués, nous sommes chanceux.

Même si nous avons vécu 20 ans de traumatisme, nous sommes chanceux.’

‘Grâce à Dieu’…

Oui toujours grâce à ce fameux Dieu.

Nous sommes chanceux d’être en vie, dans un pays où nous ne sommes pas libres,

Ou dans un pays où nous sommes Trop libres.

Nous sommes chanceux d’être en vie,

Dans un pays dirigé par ceux qui ont longtemps tiré des balles fatales,

Qui en tirent toujours sur

Ceux achevés, qualifiés de dommages collatéraux.

Ceux exemptés, qualifiés de survivants, de chanceux.

Bien sûr, grâce à Dieu.

Nous sommes chanceux d’être en vie,

Et d’avoir accès à 3 heures d’électricité dans la journée.

Chanceux de ne pas avoir d’eau potable.

Chanceux de ne pas avoir de plan B,

Parce que le plan A du Libanais s’intitule Survie.

Et que s’il ne fonctionne pas,

Nous ne sommes plus chanceux du tout.

Nous sommes chanceux de rentrer chez nous le soir,

Parce que nous n’avons pas été victime de la voiture à un seul phare, du camion trop bancal,

Ou de tous les trous que nous ne pouvons pas voir, dans l’obscurité de nos autoroutes.

Nous sommes chanceux d’être rentrés embrasser nos parents ce soir.

Nos parents, restés réveillés, à prier la grâce de ce Dieu.

Non, le plan A du Libanais n’est pas la survie,

C’est réellement la prière.

Parce que si le Libanais choisit d’être ignorant, il choisit aussi d’être impuissant.

Si le Libanais n’a pas la force de changer, Dieu a la force de nous épargner.

Mais pas à tous, non,

Seulement aux chanceux.

Allez-y, priez…

Priez pour le Pauvre, Pour l’Amputé.

Priez pour le Martyr, Pour la Victime.

Priez le Changement.

Puis priez encore pour le Pays…

Je prie moi aussi.

Juste différemment.

Je prie d’avoir la force de dire non, de parler plus fort.

D’avoir la force de me Battre

Pour le Pauvre, l’Amputé, le Martyr, la Victime,

Pour le Pays, pour le Cèdre.

Je ne prie plus le changement,

Je prie pour le devenir.

Je ne me fie plus aux prières,

Je mise ma foi dans mon Cèdre.

Mon plan A, B, C… Z.

Je crois que les racines des arbres ne peuvent pas pousser dans la cendre’, Wojciech

Mon Cèdre, Notre Cèdre ne pousse pas uniquement dans la cendre,

Il en renaît.

Et de ses racines, même fragiles, il en reviendra plus fort.

Toujours…

– Inès Mathieu