Un sujet revient souvent au Liban, pourtant, nous n’en parlons pas assez : La Religion, élément fondamental de notre identité.
C’est vrai, nous ne sommes pas simplement libanais. Nous avons été éduqués en fonction de notre communauté religieuse.
Comme beaucoup le répètent souvent, nos religions ne représentent pas simplement nos croyances spirituelles.
Elles sont aussi le socle de notre culture, de nos traditions.
Et c’est souvent ces raisons que nous utilisons pour justifier notre division.
Grandir dans une communauté, c’est être exposée à des propos souvent révoltants.
Mais, parce que nous sommes Libanais, il vaut mieux en rire, et les laisser passer.
Parce que ce sont les ‘vieux’ qui parlent, alors que nous, « nous avons changé. »
Pourtant, je me demande aujourd’hui si nous avons réellement réussi à nous distinguer de ces anciennes générations.
S’il est possible d’échapper à cette vision qui érigent entre nous des frontières culturelles insurmontables.
Certaines conversations me hantent l’esprit.
C’est un jour d’été et il fait beau au Liban.
Nous roulons sur nos routes montagnardes accompagnés par les Beatles.
Le temps se fige quelques instants.
J’ose interrompre la route :
• C’est magnifique ici. Où sommes-nous ?
• À Assia, un ancien village Libanais.
Une autre question me vient à l’esprit.
Trop commune au sein de notre peuple.
• Est-ce que c’est un village Chrétien ou Musulman ?
• Quand c’est beau, c’est que c’est chrétien Inès…
J’aurai aimé écrire que c’est une conversation fictive.
Mais ça ne l’est pas.
C’est triste.
J’ai grandi noyée par des paroles violentes :
Musulmans : Synonymes de barbarie, de manque de culture et d’éducation.
‘L’islam, et la violence.’
Musulmans : ‘Tfuh’…
Je réalise que les frontières de la guerre n’ont jamais disparu.
Que Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest sont encore une réalité.
Mais les frontières ne se limitent pas à la géographie du pays.
Ce sont des frontières communautaires qui ont conditionné notre éducation, notre jeunesse, notre mentalité.
Liban : le pays des 17 religions.
Liban : le pays de la cohabitation.
Liban … Mythomane.
Une autre conversation me revient.
J’ai 17 ans et c’est le début de la Révolution.
Je suis complètement engagée dans le mouvement.
Beaucoup ne partagent pas mon excitation.
Beaucoup se moquent de ma naïveté.
‘Le Liban ne changera jamais.’
Pire encore, ‘Pourquoi vouloir le changer ?’
Mon nouvel intérêt pour la politique de mon pays me pousse à être plus curieuse.
J’ai envie de comprendre : comment se fait-il que certaines personnes soient encore convaincues que suivre un parti ou un politicien reste là une bonne solution ?
Je demande à un ancien ami d’école, très engagé dans un parti qui fait polémique au pays, de me donner son point de vue.
Je ne le juge pas.
Je veux juste comprendre.
Malgré ma frustration vis-à-vis du sujet, j’essaye d’écouter.
• Explique-moi ta vision des choses, ton histoire.
• Ma vision, c’est la vérité. Toi, tu me prêches une Révolution, quand on a déjà notre paix.
• Paix ? Quelle paix ? Où est-elle ?
• Mon parti, c’est ma paix. C’est le chemin à suivre pour aboutir à un bon futur pour nous, les Musulmans Shiite du Liban. Pendant que le Sud se faisait attaquer, vous (Les Chrétiens) étiez en train de bronzer sur vos plages. Mes oncles, mes frères, ma famille, ma communauté étaient en train de se battre, de défendre nos frontières. Vous ne nous avez pas aidés. Votre armée ne nous a pas regardé. Oubliés. Je remercie le bon Dieu de nous avoir envoyé un sauveur : ‘He who must not be named’.
Et si j’ai un jour l’honneur de croiser son chemin, je m’agenouillerai devant lui pour lui embrasser les pieds.
Les idées de la Révolution sont justement d’unir la nation.
De laisser tomber les ségrégations de la guerre.
De tourner la page et de laisser derrière la corruption, la haine, la rancune.
Penser au Liban avant tout,
Panser nos blessures.
Tu me demandes de comprendre que tu es un homme qui encourage notre division, qui dépend d’une toute autre nation.
Tu me parles de ‘Nous’ et de ‘Vous’. Mais toi et moi avons grandi ensemble. Nous avons étudié dans la même école. Nous avons le même entourage, la même vie. Pourtant, dans tes ambitions pour le Cèdre, tu ne sembles pas vouloir m’inclure. Ne sommes-nous pas tous enfants du Liban ?
• Non. Toi, tu rentres après les cours à ‘Ashghaaafiyééé’. Tu ne comprends pas. Nous ne vivons pas dans le même pays toi et moi.
• Je ne comprends pas ? Et toi, tu comprends ? As-tu fait la guerre ? Est-ce qu’un jour, tu as dû défendre ta terre ? Non. Moi non plus. Tu me parles d’une génération. Et pourtant, tu me parles comme si moi, Inès, je te veux du mal. Pourquoi ? Parce que je suis chrétienne ? Que je ne te considère pas comme mon égal ? Je porte la croix, et toi l’étoile et le croissant. Et c’est, à ton avis, pour ça que nous sommes différents ?
• Oui.
• Je suis désolée de t’entendre me répondre ça. Tu choisis de cultiver la haine d’un passé violent. Moi je choisis d’être naïve. Je ne veux plus de ces idées. S’il y a un ‘Nous’ c’est celui qui constituent les Libanais prêts à mettre l’intérêt du pays avant tout. Et le ‘Vous’ ce sont les moutons qui suivent toujours, sans un gramme de réflexion. Par égo peut-être, ou juste par habitude. Par stupidité souvent. Mais toi, tu n’es pas stupide. Et c’est ce qui est inquiétant. Elle est là notre différence.
Comme nos parents dans les années de la guerre, cette conversation a brisé une amitié. Et le fossé s’est creusé encore plus dans notre terre. Parce que si l’extrémisme politique est présent dans cette conversation, il faut aussi discerner autre chose : la généralisation. Depuis la guerre, nous associons religion à politique. Pour beaucoup, ça va de soi.
Si le Liban en est là aujourd’hui, ce n’est pas qu’à cause de la corruption. C’est surtout à cause des souvenirs douloureux de la guerre, de la peur de l’autre. De ce communautarisme qui définit aujourd’hui notre société.
Personne n’en parle ouvertement. Mais quand les portes sont fermées, dans la maison de tous, les discours de la guerre se ravivent :
Les chrétiens et les musulmans sont différents. ‘Trop’ Différents.
Les propos haineux se multiplient. Et rien qu’à l’idée d’un mariage interreligieux, le ton monte, et la colère surgit vite.
Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, une réalité pour le Libanais…
En 10 minutes, il est possible de se retrouver à l’étranger. Parce qu’il y a des régions où nous ne sommes plus chez nous…
On nous regarde avec une curiosité sympathique, comme des extra-terrestres qui découvrent un nouveau monde.
Tout ça, par faute de religion…
Liban : Mythomane.
Le pays du ‘faire semblant’.
Nous sommes la future génération. Et pourtant, j’ai encore peur. Censés être différents, beaucoup croient encore aux paroles qui ont accompagné notre enfance. Et elles sont dangereuses.
Avons-nous un pays, sans nos religions ?
J’espère nous voir évoluer loin de ces idées du passé.
J’espère nous voir bercer nos enfants dans des discours de paix et d’union.
J’espère nous voir devenir Libanais, et créer une vraie Nation.
J’espère pouvoir donner une nationalité à mes enfants, avant de leur donner une religion…
– Inès Mathieu