« Dimanche 21 mai, la municipalité du chef-lieu du Sud a interdit le port du maillot de bain pour les femmes (…) sur la plage publique »
Il y a quelques mois, j’écrivais sur mon droit au Soleil.
Sur mon droit au Soleil, parce que je suis Libanaise.
Parce que le Liban en été c’est les journées à la plage, au bord de notre Méditerranée.
Le Liban, c’est la liberté.
La liberté conditionnelle.
La liberté, tant qu’elle ne provoque pas trop.
La liberté tant qu’on est dans la « bonne » région.
La liberté…
Aujourd’hui, j’écris sur quelque chose que je ne pensais jamais devoir écrire en tant que Libanaise.
J’écris sur mon droit au Maillot de Bain.
Ça paraît logique, parce qu’on en a toujours eu droit au Liban.
Parce que ma grand-mère bronzait en maillot de bain.
Parce que même pendant la guerre, les femmes allaient à la plage en maillot de bain.
Mais ce ne l’est plus.
Ce n’est plus un sujet logique, ou indiscutable.
Aujourd’hui, c’est même un sujet qui a fait polémique.
J’écris en rigolant, parce que je ne pensais jamais devoir écrire là-dessus…
Mais une fois de plus, le Liban nous surprend.
Je ne pensais jamais que j’allais écrire sur le temps et les aiguilles qu’on ne devrait pas pouvoir changer.
Je ne pensais jamais que j’allais écrire sur une attente de cinq heures pour de l’essence,
Ou sur un jour comme le 4 août 2020, et sur les traumatismes qu’il a pu causer.
Je ne pensais jamais que j’allais écrire sur des ‘braquages’ de banque, et que j’allais même les défendre.
Oui, le Liban sait surprendre.
Mais aujourd’hui, j’écris sur un sujet qui me surprend bien plus que les autres.
Parce que nous vivons dans un pays où nous nous attendons à la corruption et à l’injustice.
Nous vivons dans un pays où nous nous attendons même au sexisme.
Mais, l’interdiction des maillots de bains,
À ça,
Je ne m’y attendais pas.
On me dira que ce n’est pas à Beyrouth.
Que ce n’est que dans une région.
On me dira que ce n’est pas grave, et que je peux aller à bien d’autres plages.
Alors, je réponds :
Ce n’est pas à Beyrouth, mais c’est au Liban.
Ce n’est que dans une région aujourd’hui, mais ça risque de le devenir dans plein d’autres demain.
Je réponds que, si, c’est très grave.
Parce qu’on ne peut me chasser d’un bout de ma terre,
d’un bout de terre qu’on se partage, à cause de tenue soi-disant ‘indécente.’
Parce qu’on ne peut imposer
Ses convictions personnelles
Sur une plage publique.
Nous sommes libres.
Libres d’avoir le choix
Entre le burkini ou le bikini.
Je ne sais pas comment décrire ce pays aujourd’hui.
Je ne sais pas comment expliquer à des touristes qu’il y a des régions où ils peuvent bronzer et mettre une jupe,
et des régions où on leur ‘exige’ une tenue ‘décente’.
Parce que mon maillot de bain à la plage n’est pas indécent.
Parce que le corps d’une femme n’est pas indécent.
Parce que je ne suis pas indécente.
En tant que Libanaise,
En tant que femme,
J’ai droit à mon maillot de bain.
Qui sont-ils pour ‘exiger’ ?
Qui sont-ils pour décider de ce qui est ‘décent’ ou pas ?
Qui sont-ils pour m’interdire l’entrée sur ma terre ?
Qui sommes-nous si nous acceptons cela ?
Il devient lassant d’être une femme au Liban.
Lassant, qu’on retire des droits à celles qui n’en ont déjà pas.
Lassant d’écrire encore sur des choses qui paraissent pourtant logiques.
De mettre en mots des sentiments qui devraient être unanimes.
Je reste bouche bée face au silence de beaucoup.
Bouche bée que cela n’en choque pas plus.
Je suis lassée de devoir crier mes droits sur tous les toits.
Lassée de devoir expliquer que la façon dont nous choisissons de nous habiller n’est pas sujet de débat.
Mon corps est mien.
Et une plage publique est nôtre.
Si je n’ai déjà que peu de droits au Liban,
Je me battrai pour les préserver.
Parce que je ne peux pas me regarder dans la glace si je reste silencieuse,
Sachant que je viens de perdre un peu plus,
Dans un pays que je ne savais pas capable de traiter les femmes encore pire.
Parce que je ne pourrai pas regarder ma fille dans les yeux,
Et trouver les mots pour lui expliquer
Que sa grand-mère était libre de bronzer en maillot de bain,
Mais qu’elle en a été privée.
Parce que nous sommes la nouvelle génération, et que nous ne pouvons pas laisser le Liban marcher à reculons.
Il n’est pas normal que le passé devance le présent.
Il n’est pas normal que nos grands-parents aient connu un meilleur Liban.
Le passé de notre pays commence à ressembler à un futur qui nous fait envie.
Une décision prise dans une région du Liban est une décision prise au Liban.
L’interdiction du maillot de bain, c’est l’interdiction du progrès,
de l’ouverture d’esprit,
De l’acceptance.
C’est l’interdiction de la femme, et de son corps.
L’interdiction de notre diversité culturelle.
De notre liberté.
C’est l’interdiction du futur et même de notre passé.
Ne les laissons pas écrire un nouveau Liban.
Ne les laissons pas nous définir à leur image.
Ils ne nous représentent pas.
Je suis une femme Libanaise,
Et comme celles avant moi,
J’ai droit à mon maillot de bain.
– Inès Mathieu