Le Liban n’est plus nôtre.
Eté 1982, Beyrouth-Ouest: un appartement requisitionné par des soldats israéliens.
Il y a des choses dont je ne peux pas parler moi-même. Je n’ai que vingt ans et le Liban a changé bien avant que je ne sois née.
Le pays dans lequel j’ai grandi est différent de celui qu’ils ont connu. Mes mots ne pourront décrire ce passé, mais mon stylo peut figer les leurs.
J’ai toujours essayé de comprendre la guerre civile, dont les plaies toujours ouvertes, trop récentes et trop profondes, rendent leur simple évocation trop douloureuse.
Les trous de balles dans les façades de nos immeubles, les blessures toujours perceptibles, les récits toujours trop brefs, tant de non-dits et tant de photos de nos martyrs accrochées sur nos murs.
« Raconte-moi la guerre », une larme sur la joue, un silence trop pesant. Pas de récits communs, pas de réconciliation : chaque histoire est unique, poignante à sa façon. Héros et ennemis, vainqueurs et vaincus, se confondent souvent.
« Raconte-moi Ta guerre. »
Autant de guerres que de parcours personnels, autant de témoignages que de voix singulières,
Un stylo pour les figer,
Stylo de Beirut.
Raconte-moi ta guerre, parce qu’on ne peut imaginer un futur avant de comprendre notre passé.
Une page n’est tournée qu’après avoir été lue,
Et ne peut être lue qu’à condition d’avoir été écrite.
Raconte-moi ta guerre, pour m’apprendre à venir au bout de la mienne. Pour que tes échecs préviennent les miens et que tes conseils orientent mon chemin.
Ces dernières années ont fait de nous une génération désespérée.
Raconte-moi ta guerre pour que je comprenne ton passé.
Parce qu’on vit avec un peuple troublé,
Par des images, des bruits, la violence et la cruauté ;
Avec un peuple hanté par ses morts ;
Gouverné par des visages dont il a appris à se méfier, par les visages d’une guerre qu’il essaye d’oublier ;
Traumatisé.
Raconte-moi ta guerre, pour que je puisse comprendre, te comprendre.
Je ne suis ni historienne, ni journaliste.
Je suis une Libanaise qui cherche à comprendre son passé.
Ce sont les maux de ce peuple que je veux connaître, et ses mots que je veux lire et essayer d’écrire.
Ce n’est pas une énumération de dates et de batailles qui expliquera l’état du Liban aujourd’hui. Ce sont les sentiments, les états-d’âmes, les récits personnels qui ont armé la main d’un Libanais contre un autre
Et qui ont dessiné les fractures de notre pays.
J’espère alors, à travers ces témoignages, donner corps à des souvenirs que trop de Libanais refoulent depuis longtemps, une explication aux Libanais trop jeunes pour pouvoir s’imaginer dans quel Liban leurs prédécesseurs ont vécu.
‘Tenzakar w ma ten3ad’ (Que l’on s’en souvienne, et que ça ne se reproduise plus jamais).
– Inés Mathieu