Beyrouth,
Je te sens m’échapper.
La vie reprend doucement, et la routine reprend goût.
Je ne crains plus le réveil du matin.
Tu n’occupes plus toutes mes pensées.
Et je sens ton emprise sur moi se dissiper.
Je ne sais pas si je suis
Impuissante, ou
Soulagée.
Devrais-je me battre pour te garder ?
Ou profiter de ces moments apaisés ?
Discrètement tu t’éloignes.
Je souffre de te laisser t’envoler.
Parce qu’en relâchant le fil d’un ballon soigneusement gardé,
Nous savons tous qu’il finira par éclater.
Quand ? Où ? Des questions auxquelles on ne cherche souvent pas de réponse.
Mais quand c’est toi, Beyrouth,
Ces questions hantent nos esprits et nos nuits.
Je ne veux pas me laisser t’oublier.
Mais je suis loin et je te perds de vue.
Tes cris résonnent moins fort d’où je suis.
Et la terre ne se retourne plus à l’arrivée de mauvaises nouvelles.
Ici, les gens ne te connaissent pas, ils ne te comprennent pas.
Ici, les gens ne savent pas pourquoi nous tenons tant à toi,
Nous, les Libanais éloignés.
Tu nous as été arraché brusquement.
Nous pensions avoir été préparés à te quitter.
Mais il n’y a rien qui pourrait consoler le sentiment d’avoir été déracinés.
Rien sauf l’oubli.
Je commence à comprendre ces ‘expatriés’.
Ceux-là sont partis avec la promesse d’un retour,
‘Quand la situation se sera améliorée’
Mais la situation ne s’améliore pas, elle ne fait que s’empirer.
À peine partis nous avons arrêté de les attendre. Parce qu’il était clair que le billet de retour
n’allait jamais être utilisé.
Maintenant, c’est moi qui suis partie, et je commence à comprendre que
Chez moi, le retour n’a jamais été option.
Encore sauvage et dans ton état le plus brut,
Tu es une bête que nul n’a su dompter.
Il faut savoir se méfier.
Parce que la bête mord et la morsure est douloureuse.
Tu ne peux pas être maîtrisée et l’effet que tu as sur nous ne peut être expliqué.
La seule façon de se protéger est de s’éloigner.
Mais ça fait mal.
J’ai mal de te voir t’envoler…
Tu vis en moi,
Et je vis de toi.
Mais pour l’instant, permets-moi,
De faire mon deuil, de retrouver ma paix.
Beyrouth je te laisse quelques instants.
Mais je ne fais pas mes adieux.
Parce que nulle distance ne peut nous séparer de toi,
Et que nos racines ne peuvent survivre que dans ta terre,
Celle que nous partageons avec nos cèdres.
– Inès Mathieu