La Cour Suprême vote
Portant atteintes aux droits de la femme.
Aux droits de tous.
À des droits basiques.
Au droit du choix.
Nous en sommes tous choqués.
Déstabilisés, même.
Alors que nous n’avons jamais appartenu à ce monde, censé être civilisé.
Alors que nous appartenons depuis toujours à ce monde, celui de la barbarie.
Nous sommes heurtées dans l’âme,
Femmes du monde.
Je me demande,
Moi, femme libanaise :
Mon quotidien au Liban ne méritait-il pas toute cette rage ?
Parce qu’au Liban,
Nous n’avons jamais eu droit à l’avortement.
Au Liban, en tant que femmes,
Nous n’avons jamais eu droit.
Chez nous, l’enfant violée doit épouser le prédateur
Pour sauver sa réputation (la fameuse),
Pour épargner la honte à sa famille,
Pour se laisser la chance d’un jour pouvoir se trouver un mari.
Chez nous, le criminel est innocenté.
Chez nous, nous sommes criminelles, si nous faisons le choix de ne pas avoir d’enfants.
Chez nous, le seul droit auquel on peut prétendre est celui de la maternité.
Au Liban, adolescentes, nous sommes courageuses.
Courageuses d’oser explorer notre sexualité,
De succomber à la tentation, et à notre curiosité.
Courageuses, parce qu’on nous a appris que la ‘première fois’ n’avait qu’une date respectable : notre nuit de noces.
Courageuses, parce que l’adjectif
Charmouta
Est employé trop facilement,
Et qu’il résonne trop fort.
Femmes maintenant, certaines ont le courage de se libérer.
Elles brisent leurs chaînes, se laissent entraîner
Par leurs désirs, par leurs plaisirs.
Enfin majeures, elles ne vivent plus à la maison.
Elles n’ont plus besoin de se cacher –
De leurs parents.
Mais encore, elles doivent rester prudentes.
Elles ne sont pas à l’abri des regards
De leurs voisins, des concierges d’immeubles,
De leurs amis qui parlent trop fort,
Des rumeurs.
Chramit.
Au Liban, comme dans le reste du monde,
Une grossesse n’est pas toujours attendue. Une grossesse n’est pas toujours voulue.
Sauf que chez nous, dans cette situation,
Le résultat positif nous tombe dessus comme une sentence.
Nous n’avons pas d’options. Nous avons été condamnées à porter cet enfant.
L’avortement est un luxe.
Le ticket d’avion pour le faire loin du Cèdre,
Dans de bonnes conditions et dans la sécurité,
Loin des jugements, des préjugés –
Un luxe pour une Libanaise.
Parce que nous ne sommes pas toutes chanceuses.
Dans la discrétion,
Pour sauver nos vies, nous risquons nos vies.
Dans une sombre salle et dans des circonstances dangereuses,
Nous avortons.
Discrètement, nous en sortons changées à tout jamais.
Parce que nous venons de prendre une des décisions les plus difficiles.
Parce que cette décision n’est jamais facile.
Parce que, discrètement,
Nous en sortons
Criminelles.
Criminelles d’avoir choisi,
Pour soi.
Parce qu’au Liban, la femme n’a jamais eu droit à l’avortement.
Au Liban, la femme n’a jamais eu droit.
Sauf que chez nous, nous ne nous manifestons pas.
Nous ne sommes ni choquées, ni déstabilisées, ni enragées.
Chez nous, nous sommes tristement
Habituées.
Il est triste le jour où l’occident commence à nous ressembler.
Encore plus triste est le jour où nous en sommes attristés.
Alors que depuis toujours nous sommes victimes du même sort.
Et que nous n’avons jamais eu le choix,
Pour qu’il puisse nous être retiré.
Bienvenue, Américaines, à notre monde.
Je vous souhaite seulement de ne pas baisser les bras.
D’apprendre de vos sœurs, qui sont depuis trop longtemps réduites au silence.
Je vous souhaite de vous battre et de ne jamais,
Jamais,
Vous y résigner.
Je vous souhaite de toujours
Être révoltées.
Aux Libanaises,
J’ai encore espoir.
Parce que nous sommes encore capables d’être heurtées dans nos âmes
Par une décision prise à 9,374 km de Beyrouth.
Peut-être pourrons-nous enfin réagir,
Sur notre terre.
Pour celles qui y ont déjà souffert,
Pour nous jeunes femmes libanaises,
Pour nos filles,
Pour nos vies.
– Inès Mathieu